EXPOSITION GILLES BAUMONT, travail photographique
5 décembre de 10h00 à 18h00

Afin de vous imprégner de l’ambiance de cette nouvelle exposition je vous recommande la lecture du texte qui suit, écrit par Gilles Baumont. Ce sera une introduction poétique, qui, je l’espère, vous intriguera suffisamment pour que vous courriez voir son travail artistique !
Major Tom to ground control *
Il avait toujours rêvé l’espace. Il faut dire qu’il le méritait. Il en avait telle-
ment manqué petit garçon. Bien qu’habitant rue de la Liberté, il l’avait
perdue, sa liberté, quand ses parents brutalement séparés l’avaient
expédié “fissa” en pension à la campagne.
L’espace, le vrai, celui qui nous emporte jusqu’à l’oubli de toutes nos
petites misères, il l’avait rencontré pour la première fois lors du salon de
l’aéronautique en 1965. Accroché au bras de sa mère, la tête en l’air.
Devant son nez plissé, à deux mètres suspendu par un fil se balançait
une grosse boule métallique brillante et cabossée… la capsule de Youri
Gagarine. Il l’avait fait, lui, le cosmonaute dans son ballon en fer, le tour
du monde sans jamais toucher par terre.
En rentrant à la maison, dans la Caravelle bleu ciel pilotée par maman,
une idée fixe était née : à son tour de sauter en l’air mais surtout ne ja-
mais retomber par terre.
Il avait bientôt douze ans. Comme les parents, les vacances aussi
étaient partagées. Ils passaient, sa sœur et lui, le plus chaud de l’été
avec leur père. Direction la grande bleue dans la voiture de papa. Un
fumeur de cigare aussi brutal que généreux. Ferrailleur, Il aimait les
autos, les belles, les rares, les nerveuses qui roulaient très vite et qu’on voit
de loin.
La Bristol filait à cent soixante, vitesse supersonique pour l’époque, les
fenêtres ouvertes, appels de phare et klaxon bloqué, tout droit jusqu’au
kilomètre huit cent trente-neuf de la nationale 7.
Assis à l’arrière, les fesses au bord du siège en cuir rouge patiné de la
belle Anglaise, il laissait flotter son bras à l’extérieur dans le vent . Mû en
commandant de bord un instant, il s’ingéniait à piloter sa main. Décoller,
atterrir. Décoller, atterrir. Encore et encore. Son bras volait à une altitude
de trois pieds, la vitesse de croisière frôlait les quatre-vingts nœuds.
Le maelström du vent dans l’habitacle, le vacarme du moteur, le défilé
hypnotique des platanes immobiles au garde à vous sur le bas-côté. Le
parfum velouté du cigare de papa. La conjugaison de l’ensemble
l’enivrait. Les portes du rêve s’entrouvraient.
Sans lutter, il laissait ses paupières se fermer. En quelques secondes, il
était à son tour aux commandes de son vaisseau traversant les univers
psychédéliques. Comme le capitaine David Bowman dans le film qu’il
avait vu, fasciné, au grand Rex quelques semaines auparavant : 2001,
l’Odyssée de l’espace. Il vivait son rêve. Il voulait lui aussi se perdre
dans l’infini.
Plusieurs dizaines d’années plus tard, l’obsession était encore là.
Perpétuellement dans la lune, dans ses mondes, sa scolarité avait été
catastrophique. Il avait grandi au rythme de ses rêves. Poussé hors du
lycée par l’âge. Il avait réussi à intégrer une école d’art. Sa vie avait
changé. Encouragé par un entourage aussi rigoureux qu’attentif. Il lui
avait suffi de quelques semaines pour que la notion d’excellence lui de-
vienne familière et l’oblige. Dessiner, photographier était devenu son
quotidien puis son métier. Au fil de ces années d’études, il s’était
persuadé que ses rêves pouvaient et devaient sans alternative possible être
réalité.
Ne restait plus qu’à savoir comment s’y prendre…
Le premier essai avait vu le jour un après-midi de printemps lors d’une
promenade le long d’une plage bretonne : alors qu’il se préparait à
relever un coquillage à demi enfoncé dans le sable de l’estran, il s’était
aperçu que plus il se courbait vers le sol, plus l’horizon se rétrécissait.
Fort de cette constatation intrigante, il avait poussé l’expérience jusqu’à
s’allonger de tout son long sur le sable puis d’y coller sa joue pour mieux
confirmer l’hypothèse. Devant lui, l’horizon avait totalement disparu, on
pouvait rayer le mot du dictionnaire. L’espace était au bord de la terre.
Le ciel tombait dans l’eau !
Pour convaincre ses amis pour la plupart dubitatifs, il était nécessaire de
rapporter la démonstration irréfutable de sa bonne foi et de disposer de
pièces à conviction. Il les consigna par dizaines dans sa “boîte à
preuves”.
Il avait noté que le ciel tombait dans l’eau, c’était acquis. Il avait vu la
cime des saules s’évanouir pour disparaître dans le chant du vent. Il
avait relevé tout cela méthodiquement puis l’avait photographié.
L’accumulation des signes et des indices que lui offrait cette terre
l’encourageait. Malheureusement, il était pour toujours, pensait-il, l’otage de la
pesanteur.
Pendant des semaines, sans jamais quitter les nuages des yeux, il en
avait même supplié certains de l’emporter. Sans succès, il s’était rassuré
en pensant que si un morceau de terre n’était pas capable de grimper
dans le ciel, on pouvait sans aucun doute trouver un bout de ciel tombé
sur la terre.
C’est en suivant au gré d’une promenade une brindille d’élyme qui,
poussée par le vent, s’était réinventée en trait d’union entre deux
bigorneaux que la preuve, par hasard, s’était révélée. C’était une évidence : si
la terre ne pouvait s’élever jusqu’au ciel, elle en était pour le moins le
miroir.
Instantanément, la vision de cette longue ligne mince liant ces
coquillages lui avait rappelé ces pages d’encyclopédie qu’il feuilletait petit
garçon. Ces grandes cartes bleues sur lesquelles les étoiles assemblées
donnaient naissance à des constellations aux noms fabuleux : Orion,
Andromède,… le petit nuage de Magellan !
Méthodiquement, en prenant son temps, il les avait découvertes sur
terre et sur mer. Photographiées, elles sont encore aujourd’hui
consignées dans sa boîte à preuves. Maintenant, il pouvait marcher dans le
ciel, déambuler entre le scintillement des étoiles jusqu’aux confins de
l’univers.
Pendant plusieurs années il avait chevauché Pégase, croisé un lion,
combattu un dragon…Abandonné à la rêverie depuis trop longtemps
dans le vide de l’infini, l’ennui l’avait soudain réveillé. Une nouvelle
question se posait : qu’y avait-il au delà de l’infini ?
Cela impliquait un nouveau départ drastique pour en être l’inventeur.
Au bout… Eldorado ?
*David Bowie Album Space Oddity 1969
A très bientôt et n’hésitez pas à en parler autour de vous!
Ariane Blanche
